Quand il s’agit d’évoquer la Libération, curieusement, ce sont toujours les mêmes images qui me viennent à l’esprit. Les scènes de liesse populaire, les défilés de résistants paradant dans les rues des villes et des villages libérés, les cérémonies patriotiques, les drapeaux suspendus dans les rues, les bals et les flonflons sur les places publiques… les tontes des “collaboratrices”.
Cette pratique fut tristement et pourtant massivement répandue sur l'ensemble du territoire français de 1943 à 1946.


La Libération de la France a été une période complexe où se mêlèrent joie et enthousiasme pour certains mais aussi crainte et tristesse pour d'autres.
Pour cimenter cette joie collective, un exutoire commun permet d'exprimer ces retrouvailles : s'en prendre aux collaborateurs, aux prisonniers allemands, à tous ceux qui ont eu des comportements jugés indignes.
Parmi ceux-là, les femmes qui ont eu des relations affectives avec des soldats allemands seront tondues dans le meilleur des cas...
Pour la plupart d'entre elles, c'est presque toujours la même histoire, celle d'une France occupée dans laquelle des jeunes filles, par insouciance ou inconscience, franchissent les interdits et commettent l'impensable : le délit d'adultère avec l'ennemi de la Nation.



La France sera "virile ou morte". C'est à partir de cette phrase que l'historien Fabrice Virgili fonde son étude sur les tontes des femmes entre 1943 et 1946.
Dans sa thèse, Fabrice Virgili, recense le nombre de tontes et leur périodicité.
20 000 femmes furent tondues entre 1943 et 1946, mais seulement la moitié fut accusée de "collaboration horizontale".
Un tiers pour les femmes détenues, c'est à dire ayant eu des relations sexuelles avérées ou non avec l'ennemi.
Les femmes tondues sont les femmes qui ont subi, à l'issue ou lors d'un conflit majeur, diverses humiliations, dont la tonte de leur chevelure, de la part de compatriotes indignés de leur comportement, généralement des relations intimes volontaires avec les soldats ennemis.
La nature de cette accusation constitue un premier clivage entre les sexes, relatif quand les accusations de dénonciation, de collaboration économique ou politique touchent femmes et hommes de manière similaire, marqué pour les accusations de relations sexuelles uniquement reprochées aux femmes.
Le caractère sexué de la collaboration relève un discours spécifique qui reflète l'image d'une femme incapable d'agir de sa propre initiative.
Soit qu'elle suive l'homme avec qui elle partage sa vie (les femmes de collaborateurs sont autant condamnées que leurs maris), soit qu'elle se conforme à une nature jugée insouciante, irresponsable, cupide ou immorale.
Ce sont les explications avancées par certains tribunaux pour expliquer les actes des collaboratrices.
Les "faiblesses du sexe faible" participent à la représentation des collaboratrices.
La tonte est une sanction de faits sans gravité. Les relations sexuelles avec les Allemands n'influent en rien sur le cours des événements.
C'est un acte symbolique de rupture avec l'ennemi qui produit sa propre image.
Elle devient peu à peu le châtiment unique et exclusif des relations avec les Allemands et la marque provisoire d'une culpabilité sexuelle.
La coupe de cheveux n'est pas le châtiment d'une collaboration sexuelle mais le châtiment sexué d'une collaboration.
La tonte s'apparente à une faiblesse. Quelques hommes ont également été tondus (dans sept départements au moins), mais pour des motifs différents : pour manque de courage ou de virilité, pillage, travail volontaire pour les Allemands, collaboration mais aucune référence sexuelle n'apparaît à leur encontre. La tonte, les assimilant à des femmes, est une humiliation supplémentaire, dévirilisante, et ne revêt pas le caractère sexualisé des tontes de femmes.
La tonte s'inscrit dans une geste guerrière. Le terme de tondue reste systématiquement et seulement féminin.
Un phénomène massif.
Que savons nous aujourd'hui sur les tontes ?
L'état actuel de la recherche ne nous permet pas de chiffrer précisément ce phénomène. Il n'en demeure pas moins qu'il fut massif. Il concerne toutes les régions de France.
Même dans l'Est de la France, que l'on croyait épargné, il y eut "des femmes aux cheveux coupés", c'est le cas par exemple à Rambervilliers où des manifestants installent dans un café un "bureau de tonte", devant lequel passent douze femmes, travailleuses volontaires en Allemagne ou collaboratrices, les 31 mai et 1er juin 1945.
Les tontes se déroulent autant dans les grandes villes, qui ont toutes "leurs tondues", qu'en zone rurale.
En Charente Inférieure, ce sont les gamins d'un petit village qui à l'exemple de leurs aînés "jouent au maquis... Armés de sabres de bois ils s'emparent du verger, pénètrent au poulailler et libèrent les lapins... Puis tondent trois petites filles".
Plus généralement, les procès verbaux de Gendarmerie offrent, quand ils existent, de nombreux exemples de tontes se déroulant dans des villages, la promenade qui accompagne souvent la tonte s'étend alors d'un hameau à l'autre. Ces mentions sont trop nombreuses pour n'être que le fruit du hasard, on en retrouve pour l'instant dans soixante-dix-sept départements.
C'est bien l'importance de cette pratique qui explique la "postérité" des tontes.
On imagine aussi trop souvent les tontes comme accompagnant les seules journées de la Libération. Elles commencent en réalité plusieurs mois auparavant et ont été annoncées par certains organes de la presse clandestine.
Dès mars 1944, on trouve des mentions concernant des départements aussi éloignés que la Loire Inférieure et l'Isère. Elles se déroulent alors de manière discrète, le plus souvent de nuit lors d'opérations visant des collaborateurs. Une fois les cortèges de tondues de la Libération passés, cette pratique se poursuit inégalement selon les lieux, sans que l'on sache encore très bien pourquoi elle perdure dans certaines villes. Ainsi, au sujet de quatre ou cinq femmes tondues fin septembre à Tournon, le journal local des FTP signale "qu'il n'est jamais trop tard pour bien faire".
Dans une petite ville de l'Oise, c'est une affiche intitulée "Liste des femmes dites Poules à Boches, n'ayant pas eu les cheveux coupés" qui tente de relancer les tontes début octobre 1944.

Groupe de femmes tondues, photographiées devant l’entrée principale
du Palais de Justice de Bergerac, septembre 1944
